Hongrie : quand la démocratie se trouve prise au piège de la loi

Originaire de Transylvanie, le philosophe, écrivain et homme politique hongrois Gáspár Miklós Tamás constitue l’une des figures les plus en vue de son pays, au point d’être connu de tous ses compatriotes sous les initiales TGM (*). Ancien député libéral, il s’est rapidement  orienté à gauche pour défendre des idées en partie inspirées de mouvements proches du marxisme (**). Malgré ses prises de position souvent radicales, il n’en demeure pas moins une personnalité incontestablement  respectée et écoutée dans les milieux de l’opposition démocratique hongroise.

Notre ami vient justement de faire la Une des médias hongrois par une récente déclaration pour le moins dérangeante: face au blocage de toute opposition ou possibilité d’alternance dans la situation politique actuelle, TGM conseille purement et simplement aux partis démocratiques représentés au Parlement hongrois de boycotter les séances de l’Assemblée. Voire de se tenir à l’écart des élections législatives prévues pour avril 2014. Invite qui a été aussitôt rejetée par les partis concernés.

Car, selon lui, l’issue des ces élections est sans équivoque, tout étant entrepris pour que l’actuelle coalition au pouvoir soit réélue sans laisser la moindre chance à l’opposition. Effectivement, avec des élections qui se dérouleront en un seul tour – de plus après un redécoupage des circonscriptions – on ne voit pas comment, aujourd’hui divisée en quatre partis,  l’opposition pourra tenir face à une coalition gouvernementale unie. Une coalition (Fidesz/KDNP) qui, d’après les tout derniers sondages, recueillerait 24% des électeurs [24% des voix de l’ensemble de l’électorat, abstentionnistes et indécis compris, NDLR], contre 9% au parti socialiste (MSZP), les 3 autres partis recueillant péniblement entre 1% et 6%… Près de la moitié des inscrits ne souhaitant pour l’instant pas voter. (L’extrême droite du Jobbik se maintenant quant à elle autour de 8%). Il faudrait pour ce faire qu’ils se fédèrent, ce qui est apparemment exclu.

Par ailleurs, même si cela reste accessoire, Viktor Orbán pourra aussi compter sur les voix de nouveaux électeurs des pays voisins (essentiellement Roumanie, Slovaquie, Serbie) auxquels il vient d’attribuer nationalité et droit de vote.

Autre dilemme : à supposer que l’opposition  renverse l’actuelle majorité en 2014, elle ne disposera pas des deux-tiers nécessaires pour réviser la Constitution. Or, chacun sait que Viktor Orbán a «bétonné» tant qu”il a pu en faisant inscrire dans le marbre de la Loi fondamentale une foule de mesures qu’il ne veut pas voir remises en cause. Tel le taux unique d’imposition ou encore la mise à la retraite forcée des juges.  Des mesures que le futur gouvernement se devra pourtant d’abolir. Mais alors comment faire ?

La réponse est simple : passer outre…  Par exemple en soumettant l’abolition de la constitution à référendum ? Mais ce serait illégal ! Certes, mais démocratique si le projet obtient l’assentiment du peuple (sauf que la future opposition – actuelle majorité – aura beau jeu de dénoncer cette atteinte à la légalité). Car, «si la démocratie n’est plus au Parlement», déclare TGM, «allons la chercher ailleurs». (Lui ne pense pas à un sursaut du peuple, mais à l’émergence d’un mouvement minoritaire éclairé – tel aujourd’hui celui des étudiants – qui aurait effet d’entraînement.)

Voilà qui est joliment dit… mais bien vite dit… Par ailleurs, peut-on demander à un peuple qui s’est battu pour avoir des élections libres de renoncer à celles-ci ? Pas vraiment. Mais au fait, seront-elles vraiment libres, ces élections ? Plus vraiment…

De solution,  je n’en vois pas. La Hongrie se trouve aujourd’hui dans une impasse: condamnée à faire lit commun avec un gouvernant qui lui refuse toute option de divorce…


(*): le nom précédant le prénom en hongrois

(**): co-fondateur de l’ATTAC Hongrie.

Pierre Waline